Si nous devions dater la rupture entre l’homme et la nature, celle-ci pourrait se situer il y a 150 000 ans, lorsque Homo sapiens a provoqué la capacité à conceptualiser l’abstrait: dès lors, son langage intellectualise définitivement son rapport avec le monde sauvage.
Pourtant, l’origine du langage humain – et l’amorce de notre séparation avec la nature – pourrait être bien antérieure: des indices génétiques et morphologiques récents confirmaient son avènement au temps d’Homo habilis, il y a quelque chose 2 millions d’années, lorsque les premiers mots articulés ont été prononcés.
Comment le développement du langage chez l’homme est-il à l’origine de la destruction actuelle des habitats naturels et de la perte de la biodiversité?
Les humains ont perdu leur capacité à comprendre les fils de la nature. Michel André, auteur fourni
L’équilibre acoustique de la planète
S’il est un sens que partage toute forme de vie sur terre, qu’elle soit animale ou végétale, c’est la perception des fils et des vibrations. En fonction de leur nécessité et de leur relation à l’environnement, la majorité des êtres vivants ayant des systèmes auditifs complexes tandis que, chez les autres, des organes sensoriels spécialisés réceptionnent des vibrations pour en extraire une information indispensable à leur survie.
Mais quelles sont les espèces concernées, le besoin de communication acoustique, un modèle d’un côté la production sonore et de l’autre la capacité à percevoir. Un oiseau s’est ainsi assuré que ses chants atteignent leur destinataire à l’autre bout de la forêt, une baleine sait que ses appels traversent l’océan et les arbres transmettent à leurs habitants le bruit du vent annonciateur de pluie et les appelés à anticiper leur comportement.
Les fils remplissent une fonction biologique essentielle, celle de maintenir sur notre planète un équilibre dynamique global. La forêt primaire, l’océan, le désert, la nature donc, dans son expression la plus large, régit cet équilibre acoustique naturel et cette cohésion sonore est intelligible par tous les êtres vivants.
Les dauphins roses d’Amazone utilisent des sons pulsés pour communiquer. Wezddy del Toro, auteur fourni
Langage humain et destruction de la nature
Le développement de notre imagination, nécessaire à la conceptualisation et donc à la pensée, un peu à peu dissous ce lien avec le monde naturel et détrôné notre capacité innée à interpréter ses signaux et à communiquer avec les autres êtres vivants. Nous avons alors perdu notre naturalité et le sixième sens qui était associé.
Avec la perte de ce sixième sens, s’est enfouie dans notre mémoire ancienne notre appartenance à un tout, et ce tout – la Nature – nous est devenu étranger. Ne dit-on pas aujourd’hui «l’homme et la nature», comme si nous revendiquions cette rupture? Nous avons développé chaque jour notre cerveau au seul service du bien-être de l’humanité, en ignorant que ce bien-être dépendait de ce tout, de cet équilibre subtil naturel. La perte de la biodiversité dont nous sommes directement responsables répond au constat que nous sommes rendus sourds aux messages de la nature et incapables d’écouter les signaux de détresse qu’ils contiennent.
Groupe de pingouins en Antarctique. Michel André, auteur fourni
Une science pour réapprendre à écouter
La bioacoustique est la science du fils de la vie Elle en étudie les processus physiologiques de production et de réception, mais permet également de décélérer les facteurs qui altèrent leur échange, comme la pollution sonore qui sévit aujourd’hui tant sur terre que dans la mer , avec des conséquences désastreuses sur l’équilibre naturel planétaire.
Pour mener ces études, la bioacoustique s’appuie sur les technologies de pointe qui combinent les derniers développements en mathématiques, en physique, en informatique et traitement du signal, en sciences de l’ingénieur et en biologie, dans le mais peut-être de recouvrer notre naturalité perdue, mais surtout dans le but d’œuvres pour la conservation de la vie sauvage.
Dispositifs bioacoustiques installés en Arctique. Michel André, auteur fourni
Les techniques de reconnaissance automatique permettent en effet de traiter une quantité de données impensable il y a encore quelques années et d’en extraire des patrons, des tendances, qui alerte déjà sur des déséquilibres et qui nous rapprocheront peut-être un jour du tout ne nous nous sommes extraits.
La technologie question de l’évolution de notre langage nous permet-t-elle de nous en détacher pour retrouver notre place au sein de la nature et comprendre enfin comment la préserver?
Pour ce faire, il nous faut plonger dans l’océan.
Voix de l’océan
Sous la mer, la vie ne peut exister sans fils. La lumière est en effet incapable de pénétrer à plus de quelques mètres de la surface tandis que les fils glissent sur les centaines de kilomètres et permettent un échange d’informations vitales pour l’ensemble des écosystèmes marins.
S’il est un endroit sur la planète où notre apprentissage du fils de la vie doit s’opérer, c’est dans les profondeurs de la mer. Là où nos sens sont diminués. Là où nous sommes incapables de communiquer et d’imposer notre langage. Là où nous devons à nouveau apprendre l’humilité pour tenter de retrouver nos capacités intuitives et comprendre le milieu naturel.
Cet océan, appelé à être notre nouveau berceau sensoriel, ce milieu inconnu, nous extrayons les ressources sans compter et dont nous ignorons délibérément la fragilité (et la nôtre par la même occasion), cet océan représente sans doute notre chance.
Les chants de la baleine à bosse s’étendent sur des dizaines de kilomètres. Michel André, auteur fourni
Le monde du silence décrit par Cousteau et Malle n’existe en effet que pour les êtres humains. La mer est au contraire remplie de sources sonores: des invertébrés aux grandes baleines, tout organisme marin produit continuellement des sons.
Notre oreille, première étape de la perception acoustique, n’est pas faite pour entender sous l’eau, encore moins pour écouter. Nous percevons certaines de ses composantes sonores, comme des fils étouffés qui nous donnent l’illusion d’en capter les nuances, mais nous sommes physiologiquement démunis devant les caractéristiques physiques qui permettent leur propagation et leur réception.
Retrouver notre sixième sens?
La technologie a permis le développement d’oreilles artificielles, des microphones adaptés hydrophones, au travers desquels nous pouvons entendre le fils de l’océan et de ses habitants comme si nous étions un dauphin, comme si nous disposions des oreilles d’un dauphin , pour découvrir un monde de 20 000 fils, une dimension acoustique inaccessible et donc longtemps ignorée par l’humanité.
Déploiement d’un hydrophone en Arctique. Michel André, auteur fourni
Entender sous l’eau est une prouesse technologique, écouter nécessite la capacité d’identifier les sources sonores en présence et comprendre demande de surcroît un désir pur apprendre, proche de la curiosité absolue à l’origine de la science.
À la manière de notre cerveau, des logiciels complexes classifient aujourd’hui automatiquement et en temps réel ces fils de mer pour nous permettre d’écouter. Ces oreilles technologiques intelligentes nous connectent en même temps partout dans le monde, d’un Pôle à l’autre, de la Méditerranée à l’océan Indien, nous conférant le don de l’ubiquité acoustique.
Conséquences de l’activité humaine dans l’océan
Il ne nous reste plus qu’à comprendre. Comprendre que nos actions sur les conséquences tout aussi immédiates qu’irrémédiables sur la perte de la biodiversité et que cela représente une menace pour l’humanité. Comprendre que le déplacement des populations d’espèces sauvages qui fuient la pression humaine ou qui sont chassées de leur environnement naturel par la destruction de ses habitats, bouleverse l’ensemble fragilisé de la planète et nous exposons à des dangers auxquels nous ne sommes pas préparés
L’océan n’échappe pas à ce fléau. Son exploration et exploitation industrielle sont accompagnées de l’introduction incontrôlée de sources de pollution sonore qui ont envahi tout son espace vital et ont ajouté une menace invisible et tout aussi dévastatrice à celle du plastique et des autres déchets de nos activités. Tout le tissu vivant, des invertébrés aux grandes baleines, est affecté
Nos oreilles intelligentes captent et interprètent les signaux de détresse de la Nature. Elles nous transmettent, pour la première fois en clair, un appel à l’aide pour la conservation de la biodiversité Si nous ne sommes pas encore capables de communiquer avec les autres êtres vivants, nous sommes désormais pourvus de l’essence de notre naturalité originelle : celle de pouvoir être à l’écoute de la nature et d’en comprendre enfin les besoins, la bioacoustique peut nous connecter, aujourd’hui, autant avec les océans que le cœur des forêts primaires.
De la reconnexion avec la nature, à qui nous avons tourné le dos quand nous avons appris à parler, dépend notre avenir.